Conférence de Eve Pitovic

HISTOIRE DE GRILLS ET DE BROCHES, DE CHAÎNE ET D’AMITIÉ.

Du Moyen-Âge à nos jours.

Eve Pitovic. 1er Décembre 2024.

 Chers Membres de la Chaîne des Rôtisseurs, chers membres de l’Ordre International des Anysetiers, Mesdames et Messieurs,

Nous voici tous réunis en ce premier jour de Décembre. Et le mois de Décembre en Alsace est un gage de moments chaleureux, de traditions et prometteur de gastronomie. Le mois de Décembre est aussi un mois de travail intense et très productif pour les professionnels des métiers dits « de bouches », des savoir-faire venus des temps les plus anciens.

Vous serez certainement étonné par cette incursion de notre présent… dans le Passé. Si nous sommes réunis en ce lieux ce n’est pas le fruit du hasard. C’est une longue histoire de Chaînes et de maillons, de traditions, mais aussi de luttes pour exister et renaître.

Avant nous, étaient ces passeurs de savoir et de saveurs…

Le titre de cette conférence est :

HISTOIRE DE GRILLS ET DE BROCHES DE CHAINE ET D’AMITIE. Du Moyen-Âge à nos jours. 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, le commencement de l’Histoire de la Chaîne des Rôtisseurs a une connotation symbolique. Au Moyen-Age les Nobles se différenciaient en mangeant beaucoup et en grandes quantités par rapport aux autres convives. Des grosses portions permettant d’afficher leur supériorité. La consommation de viande est un élément phare de l’alimentation des nobles et des gens influents de cette époque, c’était une valeur de puissance. La chair en ce temps de Moyen Age est associée à la force physique, à la sexualité et au pouvoir. Les viandes qu’ils mangeaient étaient grillées sur des broches, ou sur des grills. En opposition, le peuple, les paysans et les moines mangeaient peu et leur viande était bouillie.

Cette différenciation est fondamentale entre les Nobles qui mangeaient la viande rôtie et grillée, et le peuple qui mangeaient la viande bouillie.

Cette distinction n’est pas seulement affaire de goût ou d’habitude, elle a une raison à la fois anthropologique et symbolique. Les nobles du Haut Moyen-Age mettaient en valeur le rapport étroit entre l’homme et la nature sauvage, sans intermédiair. C’est la raison pour laquelle la noblesse investie la viande grillée d’une valeur symbolique supérieure à la viande bouillie.

– Le fait de griller la viande permettait aux flammes d’être en contact direct avec la viande. Cette façon de consommer la viande rôtie pour les Nobles peut encore s’expliquer autrement par le matériel indispensable à cette cuisson. Il fallait une grande cheminée avec des poulies, des grills et des broches en métal d’un prix inaccessible pour les plus pauvres ayant à peine les moyens d’acheter un chaudron.

La viande bouillie du peuple, quant à elle n’était pas en contact direct avec le feu, et avait pour intermédiaire le récipient et l’eau. Dans cette époque du Moyen-Age la cuisine, à l’instar de la médecine et de la religion reposent sur les mêmes doctrines. Elle était considérée comme une science. Les médecins médiévaux pensaient que la viande d’oiseau était la meilleure pour l’homme.

Par ailleurs durant toute la période du Moyen-Age, l’Eglise était omniprésente, même dans la façon de se nourrir. Dans ses préceptes, l’Homme se devait de manger en chrétien et respecter des jours de jeûne. On pensait que la viande échauffait les esprits et favorisait le penchant de l’homme pour la luxure.

Ces recommandations à la fois médicales et religieuses vont faire de la consommation des grands oiseaux un élément privilégié et distinctif du modèle alimentaire des élites médiévales.

Les hérons, les cormorans, le cygne, le paon, le coq de Bruyère, les mésanges, les poussins, l’hétourdeau (poulet d’un an) la poule, le poulet se retrouveront sur les tables des Princes et des puissants. Mais, celle qui remportera ‘ la palme ‘ pour faire un petit jeu de mot… c’est l’OIE.

A cette période du Moyen-Âge, ce sera la grande époque de la consommation de l’Oie, et cette dernière par conséquence était servie rôtie. Ces Rôtisseurs d’Oies étaient nommés des OYERS ou encore AYERS. L’Oie rôtie était le plat favori des tables des personnes aisées et puissantes. Et puis, au 13e siècle, en l’an de Grâce 1248, le Roi Louis IX dit Saint Louis, va ordonner la constitution des guildes professionnelles.

– Qu’est-ce qu’une GUILDE ? Une guilde au Moyen-Âge était une association de personnes pratiquant une activité commune. Elle était constituée de règles, de privilèges spécifiques, elle protégeait et défendait les intérêts communs liés à une organisation professionnelle sous protection royale.

Dans les statuts de cette guilde, les premiers Rôtisseurs d’Oies, n’avaient le droit de ne rôtir que des Oies, des Cygnes, des Paons ou des Hérons. Ces Rôtisseurs d’Oies, aussi appelés les OYERS ou AYERS furent les précurseurs de la Chaîne des Rôtisseurs.

– En outre, le Roi Saint Louis désirait que cette guilde ait pour vocation d’améliorer les connaissances techniques des apprentis, des maîtres, mais également des marchands.

– Le mot « GUILDE » vient du saxon GUILDEN signifiant payer ou rapporter de l’argent, puisque les membres de la GUILDE devaient contribuer à ses finances collectives.

 

A partir du 14e siècle, toutes les GUILDES deviendront des CORPORATIONS.

Le mode de fonctionnement ne changera pas, ce seront toujours des hommes ayants en communs les mêmes types de métiers. Ce qui changera en revanche, ce sera leur protection. Le système Vassalique-Féodal va laisser la place au Corporatisme assurant la défense et la sauvegarde des intérêts communs des métiers. Ce seront des Maîtres élus, des jurés réunis en « Jurandes » ou Maîtrises.

Au 16e siècle, en 1509, sous le règne de Louis XII, la Corporation des Ayeurs va voir ses possibilités s’agrandir en ayant le droit de joindre la préparation d’autres viandes tel que du bœuf, des volailles et du gibier. De ce fait, la Corporation n’est plus celle des Rôtisseurs d’Oies, elle deviendra :

  LA CHAÎNE DES RÔTISSEURS.

Puis, en 1610, ce seront la création des Armoiries :

– Elles comprendront 2 broches croisées et 4 ustensiles à larder au centre, entourée de flammes de l’Âtre.

Un peu différente dans sa version actuelle : – Le blason historique est encerclé par 11 fleurs de Lys, et 2 Chaînes entre lesquelles se trouve le nom de l’association. La Chaîne intérieure représente les Membres professionnels, tandis que la Chaîne extérieure représente les Membres non professionnels.

Ainsi, Mesdames et Messieurs, pendant plus de 4 siècles la corporation de la CHAÎNE DES ROTISSEURS développe et cultive les ARTS CULINAIRES.

 Mais, hélas la Révolution française va sonner le glas pour la CHAINE DES RÔTISSEURS.

La Révolution Française de 1789 va faire voler en éclat le Corporatisme. La loi Le Chapelier promulguée en France le 14 Juin 1791 va interdire le corporatisme et tous groupements professionnels, les supprimant sur tout le territoire français, et par là même le pouvoir des coalitions ouvrières. Que ce soient les Maîtres, les ouvriers, tous mouvements leur furent interdits. Cette loi Le Chapelier va instaurer la création d’un livret ouvrier. C’était une sorte de passeport permettant à la police et aux employeurs de connaître la situation exacte de chaque ouvrier.

Viendra ensuite le décret d’Allard le 17 Mars 1791, abolissant les Maîtrises et les Jurandes. Ce sera un acte majeur de la Révolution française, il aura pour but d’instaurer « la patente » contribution unique, en association avec la liberté pour tout un chacun d’avoir droit de négoce et d’exercice professionnel.

 Malgré toutes ce turpitudes la gastronomie, la grande cuisine et les arts de la table ne cesseront pas de se développer durant ces temps agités.

Et… pendant 159 ans la Chaîne des Rôtisseurs restera en sommeil. Ces Temps seront malheureusement ponctuée par bien d’autres conflits et guerres, dont la dernière, celle de 39-45. Par toutes ces raisons et durant des années, il manquait les matières premières essentielles et la formation des apprentis cuisiniers, rôtisseurs de ce fait ne pouvait plus être assurée correctement.

-Mais au fil des ans, voici revenu des temps plus prospères. Cinq amoureux de la gastronomie française vont redonner vie à la Chaîne des Rôtisseurs. Il s’agit de 3 gastronomes, le docteur Auguste Bécart, Jean Valby, Maurice Edmond Saillant dit Curnonsky et 2 professionnels Louis Giraudon et Marcel Dorin.

A Pâques 1950, ces cinq passionnés de gastronomie organisent un dîner à l’Auberge de la Truite, rue du Faubourg Saint Honoré, dans le 8e arrondissement de PARIS. Ils feront le serment de faire renaître l’esprit de la corporation abolie par la Révolution française et vont ressusciter par là même, les idéaux de la GUILDE crée par Saint Louis. Ces idéaux avaient eu pour but d’améliorer les connaissances techniques enseignés aux apprentis et aux Maîtres.

Quelques mois plus tard eut lieu à Paris, le 25 Janvier 1951 le premier « Chapitre de la Chaîne des Rôtisseurs. » A l’issu de la cérémonie des intronisations, des marcassins furent rôtis à la broche par Sylvain Clussels, devenant le premier Maître Rôtisseur en titre de la Chaîne.

En Alsace, la Chaîne des Rôtisseurs fut introduite en 1955.

Le Premier Chapitre s’est déroulé le 20 Juin 1955 à Colmar au Koïfhus. Le premier bailli s’appelait Mr Dreyer.

Depuis cette renaissance en 1950, la CHAÎNE DES RÔTISSEURS n’a cessé d’évoluer et elle a aujourd’hui le mérite de la pérennisation. L’esprit de continuation de l’excellence née par la création des guildes, du corporatisme, est toujours d’actualité, et plus que jamais. C’est un héritage majeur du 13è siècle. La gastronomie et la formation des cuisiniers continuent de se réinventer. Depuis les années 60, beaucoup de techniques ont évoluées grâce à l’internationalité de la Chaîne des Rôtisseurs. Elle a ainsi favorisé la rencontre de chefs étrangers apportant leurs savoir-faire, adaptés par la suite par les chefs français.

Présente en France, et dans le monde entier représentée dans plus de 80 pays par plus de 21.000 membres. Les activités de la chaîne des rôtisseurs continuent de se développer sans discontinuer.

Le 2 Janvier 2008 est crée l’association caritative de la chaîne des rôtisseurs, « L’ACCR ». Ayant pour but de nourrir et d’aider les plus démunis, les enfants en particulier.

LA CHAÎNE DES RÔTISSEURS c’est aussi un formidable vecteur de rencontres d’Amitié autour d’une belle et bonne table.

Chers Amis Membres de la Chaîne des Rôtisseurs, cher Amis Membres de l’Ordre International des Anysetiers, Mesdames et Messieurs,

L’histoire de la Chaîne des Rôtisseurs est très ancienne et son esprit toujours présent. Le lien du savoir des professionnels et l’engouement des gastronomes, un fabuleux ingrédient de transmission et de pérénnité. Une mention particulière pour les actions de l’Association caritative de la CHAÎNE DES RÔTISSEURS, ACCR, œuvrant particulièrement pour les enfants et les démunis qui souffrent dans tous les pays du monde. Malheureusement, d’une actualité trop présente.

En conclusion, trois mots :

VIVE LA CHAÎNE !